Dialogues avec le Vivant : Retour sur la Biennale de l'art et de la nature urbaine de Genève
La Biennale de l’Art et de la Nature Urbaine qui s’est tenue à Genève durant le mois de septembre s’est achevée sur une activité synthétisant un grand nombre des enjeux de la Biennale, en matière de culture, de science, de nature en ville et de reconnexion au vivant.
(re)connecting.earth (02) - Beyond Water
C’est un beau dimanche d’octobre. Le temps est radieux, idéal pour une promenade au bord du lac. Sur l’eau, tous les bateaux semblent être de sortie, leurs propriétaires voulant certainement profiter de cette météo clémente pour ce qui pourrait être la dernière excursion de l’année. Parmi les voiles claires, de drôles d’éclats de couleur attirent l'œil du côté du quai Gustave-Ador : quelques voiliers semblent avoir décidé de rompre avec la traditionnelle blancheur et évoluent ensemble sur les flots dans un étonnant ballet lacustre. En poursuivant sa promenade, on arrive du côté du Molard, où un étrange attroupement s’est formé devant une curieuse installation végétale. Les gens s’activent à en ôter les plantes pour les mettre en pot tout en bavardant gaiement. Aux curieux et curieuses qui s’approchent, on propose de participer ou de récupérer l’un des végétaux fraîchement rempoté. Pourquoi pas ?
On apprend qu’il s’agit d’une œuvre d’art - tiens, on n’en trouve pas que dans les musées ! - exposée dans le cadre d’une Biennale d’art contemporain consacrée à la nature urbaine. L’art peut donc être vivant ? Et n’importe qui peut participer à le faire vivre ? Ça change de ce qu’on voit d’habitude, ces salles blanches aseptisées exposant des œuvres qu’on ne comprend pas toujours. Là c’est immédiat, collaboratif, joyeux…
On repartira avec un souvenir, une plante locale plutôt commune qu’on a certainement déjà croisée des centaines de fois sans la voir. Celle qu’on emporte a déjà changé de statut, c’est devenu “notre” plante, et on s’engage - plus ou moins consciemment - à en prendre soin afin qu’elle se sente bien chez nous. Ça fera un peu de verdure dans l’appartement, et qui sait, lors de la prochaine promenade on aura peut-être l'œil pour repérer ses congénères. C’est fou ce que l’art peut ouvrir comme perspectives parfois…
La Biennale (re)connecting.earth (02) - Beyond Water qui s’est tenue à Genève durant le mois de septembre s’est achevée sur une activité synthétisant un grand nombre des enjeux de la Biennale, en matière de culture, de science, de nature en ville et de reconnexion au vivant. Les visiteur.euse.s de l’exposition ont pu découvrir pour la dernière fois l'œuvre Seeds of Change - A Garden of Ballast Flora: Geneva de l’artiste Maria Thereza Alves à l’occasion d’un atelier botanique. Après une intervention du curateur de l’exposition Bernard Vienat fournissant des éléments d’explications sur l'œuvre et la démarche de l’artiste, les plantes composant l’installation ont été présentées par une spécialiste qui a évoqué certaines de leurs propriétés. L’audience a ensuite pu passer à l’action en entamant le démontage de l'œuvre, les plantes étant mises dans des pots individuels et offertes au participant.e.s. Les mains dans la terre et le sourire aux lèvres, les spectateurs et spectatrices ont semblé ravi.e.s d’avoir un rôle plus actif à jouer. Les plantes qui ont trouvé de nouvelles maisons continueront de faire ainsi vivre cette œuvre de Maria Thereza Alves, tout en rappelant ce moment de partage et de complicité.
Loin d’être anecdotique, cet événement symbolise au contraire le projet de l’association art-werk à travers l’organisation d’une Biennale de l’Art et de la Nature Urbaine. En présentant une exposition en plein air et gratuite, on rend l’art plus accessible - dans tous les sens du terme. La Biennale a ainsi offert aux œuvres la possibilité de rencontrer leur public habituel, qui a fait le déplacement pour les voir, mais pas seulement : les passantes et passants circulant dans l’espace public, même sans être familiarisé.e.s avec l’art contemporain, ont également eu l’opportunité d’y être confronté.e.s.
Les stands mis en place pour des moments de “micro-médiation” ont révélé à quel point les gens étaient friands de ce genre d’initiative. Les œuvres ont suscité de nombreuses questions, et les explications données par l’équipe de médiation étaient toujours accueillies avec enthousiasme. Ces moments d’échanges ont contribué à vraiment faire vivre les œuvres, qui ont pu ainsi être présentées dans toute leur profondeur et leur complexité. La qualité des discussions occasionnées a révélé à quel point la Biennale favorisait le contact avec la nature, mais aussi entre les personnes. La dimension multi-générationnelle du projet, permettant aux Aînées du climat de dialoguer avec les jeunes enfants participant aux ateliers pédagogiques, a également permis de créer un espace de dialogue d’une rare qualité.
Les visites gratuites offertes au public ont attiré des spectateur.ice.s issu.e.s d’horizons très divers, où chacun et chacune était curieux.euse d’échanger sur la place de la nature en ville et le rôle de l’art. Une visite avec une personne souffrant d’une déficience visuelle a permis de questionner les limites des modes de médiations “traditionnels”, en adaptant le contenu - notamment en incorporant davantage de descriptions - et la forme même de la visite - en incitant à toucher ou à sentir les œuvres pour les découvrir avec d’autres sens que la vue. Cet exercice s’est révélé être particulièrement intéressant, les personnes faisant la même visite s’inspirant de cette autre façon de ressentir les œuvres et opérant ainsi un léger décentrement par rapport à leurs habitudes. Cette inclusivité passant par l’adaptation de la médiation à personne en situation de handicap s’est révélé un enrichissement pour l’ensemble des visiteur.euse.s présent.e.s.
Dans un autre registre, des visites ont été organisées avec des classes de l’École de culture générale rassemblant des élèves non francophones. Ces jeunes - âgé.e.s de 15 à 17 ans - n’étant pas tou.te.s familiarisé.e.s avec les concepts de la nature urbaine ou de l’art contemporain, ces visites ont été adaptées pour leur offrir une variété de pistes de réflexion sur ces questions. Les élèves ont ainsi pu découvrir le volet artistique de la Biennale, mais aussi l’une de ces facettes plus scientifiques puisque lors de leur passage à l’Association pour la Sauvegarde du Léman, ils ont pu échanger avec un spécialiste sur la question des micro-plastiques dans l’eau. Cette discussion art-science prenant les œuvres pour point de départ s’est révélée très riche, les pièces présentées dans l’exposition permettant de dépasser la barrière de la langue en incarnant une autre forme de langage, plus universel.
Le cadre de la rade genevoise a également joué un rôle crucial dans cette édition Beyond Water de la Biennale (re)connecting.earth. Certaines oeuvres ont été particulièrement valorisées par leurs lieux d’accueil : la sculpture sonore des glaciers en train de fondre de Diana Lelonek & Sram installée dans les platanes des Bains des Pâquis, au milieu du lac, a trouvé un écho singulier dans cet espace entouré par l’eau venue de ces mêmes glaciers; l’œuvre sur les bioplastiques d’Anne-Laure Franchette & Manon Briod, présentée à la Pointe à la Bise, avait une étonnante résonance dans cette réserve naturelle de Pro Natura Genève…
L’inverse était également vrai, certaines œuvres contribuant par leur présence à valoriser autrement les lieux les accueillant. C’est le cas par exemple de l’installation sonore d’Alexandre Joly, qui a accompagné le trajet des Mouettes genevoises sur le lac, des bateaux aux voiles peintes par Raul Walch qui ont coloré le paysage de la rade à chacune de leur sortie, ou encore de la sculpture de Carmen Perrin à la Maison de la Pêche, qui a permis d’offrir un autre éclairage sur cette institution.
Cette dynamique d’échanges, associée à la volonté de la direction artistique de l’événement de valoriser les œuvres déjà existantes dans le paysage genevois, a contribué à inscrire l’exposition dans le tissu culturel et associatif local. En présentant l’art dans un réseau d’éléments et non pas dans une bulle isolée, ce projet global présentant des artistes de Suisse et d’ailleurs s’est ancré de manière qualitative dans le contexte local de Genève, en contribuant à en valoriser les multiples visages. La curation faisant la part belle à la mobilité douce et à la déambulation dans l'environnement urbain a encore renforcé cela.
Véritable incitation à “observer rêveusement” - un oxymore qui se retrouve dans certaines œuvres présentées -, cette proposition pour changer de regard aura imprégné toute la Biennale, car elle semble être l’une des clés de la (re)connexion sensible à la nature qui nous entoure.